Le jour où le savon a disparu
On a cru gagner en douceur. On a surtout perdu le savon.
Dans les années 1970, l’industrie cosmétique découvre une formule miracle :
Le syndet, pour synthetic detergent :
Je vous le traduit en français : détergent synthétique
Il mousse sans saponification, se conserve indéfiniment et coûte bien moins cher à produire que du savon traditionnel.
Un mélange d’eau, de tensioactifs issus du pétrole (Sodium Laureth Sulfate, Cocamidopropyl Betaine), de parfums synthétiques et de colorants.
Le gel douche était né
Très vite, les publicitaires ont remplacé la main savonneuse par la peau nue sous la cascade.
« Tahiti Douche » promettait l’évasion, la mer, la sensualité.
En trois décennies, le savon a été relégué au rayon des grands-parents.
Et les salles de bain sont devenues des laboratoires d’arômes.
L’économie du faux propre
Avant d'aller plus loin, il faut que vous sachiez ceci :
Le gel douche n’est pas un savon.
C’est une solution aqueuse épaissie par des gommes et stabilisée par des conservateurs, contenant 70 % d’eau.
Les tensioactifs représentent à peine 10 à 15 % du volume, mais ils assurent le pouvoir moussant et la sensation de glissant.
Ces molécules détergentes, dérivées du pétrole ou du coprah raffiné, dissolvent la graisse cutanée sans la remplacer.
Elles détruisent le film hydrolipidique qui protège la peau, laissant une sensation « propre » compensée par une crème hydratante... du même groupe industriel.
Mais ce n'est pas seulement ça.
Chaque flacon de 250 ml, c’est aussi 200 ml d’eau embouteillée, un plastique en PE ou PET, des microbilles de polymères, et souvent un parfum à base de phtalates.
Chaque année, des milliards de flacons sortent des chaînes européennes ; moins de 30 % sont recyclés.
Le reste finit dans l’air, l’eau ou la mer.
On nous vend encore de l'eau en bouteille. Mais cette fois, elle est parfumée et elle mousse.
L’argument marketing
Je pourrais vous parler de la composition chimique des gels douche pendant des heures.
J’aurais aussi pu vous expliquer pourquoi le Sodium Laureth Sulfate qu’ils contiennent est un détergent industriel.
Mais les publicités de gel douche parlent de promesse, pas de composition.
“Tahiti douche” n’a pas de terroir : il a un imaginaire.
Îles lointaines, peau hâlée, exotisme.
Un storytelling sensoriel qui remplace le geste simple du savon par une émotion calibrée.
Les slogans vendent l’instant, pas la durée ; la mousse, pas la propreté.
Même les versions dites « bio » reposent sur les mêmes bases : eau + tensioactifs « végétaux ».
Le procédé reste industriel et rapide.
C’est un liquide aseptisé, standardisé, conçu pour se vendre, pas pour durer.
Quelle différence avec un savon saponifié à froid ?
Un savon saponifié à froid n’a pas besoin de marketing.
Il est né d’une réaction naturelle entre l’huile et la soude.
Il contient environ 8 % de glycérine, ce qui protège et hydrate la peau.
Aucune bouteille en plastique, aucun additif.
C’est ce que nous faisons à Saint‑Géry : un savon au saindoux de Porc Gascon.
Saponifié à froid, séché plusieurs mois, biodégradable.
Un savon qui ne promet rien d’exotique. Mais qui tient parole.
En résumé
Le gel douche, un produit d’usage rapide, est composé d’eau, de parfum artificiel et de plastique.
Le savon, une matière vivante qui lave, protège et nourrit, est un aliment pour la peau.
J'aurais encore beaucoup de choses à vous dire sur ce sujet, sans parler de la chimie des tensioactifs ou de l'impact environnemental.
Mais faute de place, je vais m'arrêter là.
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Patrick Duler
Fondateur de la Maison Duler
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